On serait au 20e siècle. On serait dans mes montagnes de naissance maintenant remplies de maisons, d’immeubles, d’autoroutes et de béton. Le chemin pour aller de la maison à l’école et retour était alors de terre et grand frère avait une mission sacrée, me surveiller. Et moi, le mot surveillance… ne m’a jamais plu. Mais grand frère étant mon idole, je me pliais (un peu).
Je ne lui serrais fort la main qu’en passant devant la ferme voisine où un grand chien aboyait comme un malade en nous voyant. Coup de chance, il était attaché mais promenait son lien le long d’un fil de fer qui courait entre deux poteaux et j’avais deux fois par jour la terreur qu’il me chope par un mollet. Je soupçonne fort grand frère de m’avoir fait passer très près de la clôture toutes ces années et d’avoir ri sous cape à chaque fois.
Pour franchir le passage à niveau, nous attendions le signal de la garde-barrière avec laquelle maman avait signé un pacte. Quand le train était passé en sifflant plusieurs fois pour nous saluer, elle nous faisait traverser les rails, une vraie aventure !
Dans ce qui était un endroit excentré par rapport au bourg, il y avait donc la ferme et quelques rares maisons. Notre sentier n’avait pas de nom et tout autour de nous, des champs et un ruisseau capricieux, le tout cerné par les montagnes. Dès mi-octobre le froid s’installait, maman sortait alors les tenues d’hiver, collants, chaussettes de laine, tricots de corps, moufles, pulls et cols roulés à plastron que je détestais. Sans parler des fuseaux avec un élastique qui passait sous le pied… avez-vous déjà essayé de tenir dans un fuseau que vos centimètres de l’été ont rendu trop court ? Ca tire, ça glisse sur les hanches à l’époque étroites, c’est inconfortable au possible mais les mamans ont toujours une solution : les bretelles, horreur. Soit elles sont à pinces et les pinces c’est fait pour s’ouvrir brutalement au moindre mouvement, soit elles sont à boutons et ceux-ci sautent méchamment.
Et puis parlons côté pratique : va donc faire un petit pipi rapide pendant la récré !!! On oublie tout de suite le côté rapide de la chose. Anorak, gants, écharpe, bretelles, fuseau maudit, collant… bien renfiler le tricot de corps dans le collant pour qu’il n’y ait pas d’air qui rentre, baisser le splendide pull chiné maison, paf une pince de bretelle qui lâche, derrière bien entendu… Et ça tambourine à la porte…
J’eus une éphémère revanche sur les bretelles au collège quelques années plus tard quand le prof de français entra dans la classe, posa son cartable sur le bureau et se tourna vers le tableau, nous montrant un pan de chemise sortant du pantalon lâché par les bretelles. Sautant sur l’estrade je me mis à crier en direction de mes copains : « suivez son panache blanc ! ».
4 heures de colle un dimanche après-midi. Saloperies de bretelles.