Comme quand on était p’tits… la douane de Moilesullaz

La vraie douane de quand on était p’tits, les blagues sur les douaniers, les humoristes qui font (faisaient) des blagues sur les douaniers, le pincement à l’estomac quand on approchait de la douane et le soulagement en redémarrant. A quoi était associée la crainte du douanier, je ne sais pas, lectures, récits, imagination, uniformes, réalités des contrôles, nous avions réellement la pétoche !

De mon village de Haute-Savoie, nous allions de temps en temps à Annemasse voir Tonton Charles et les tantes ; tonton Charles le gentil ayant eu la chance incroyable d’épouser une tante grincheuse, dut adopter pour des décennies Valentine, la frangine, célibataire geignarde, endurcie et casse-bonbon de première classe. Repas compassé et frugal dans la salle à manger ouverte pour l’occasion mais où rien n’avait bougé depuis des lustres et où les persiennes étaient rarement ouvertes, la lumière, ça use les couleurs ! Il fallait mettre des patins en entrant. Papa râlait. Nous, nous adorions les patins, formidables outils de glisse sur parquet trop ciré !

Enveloppée dans un châle mauve au crochet recouvrant en partie un de ces sévères robes informes à fleurs gris-mauve qui me font toujours horreur, le béret en permanence sur le tête, Valentine mangeait à la cuisine, soumise à un régime personnel non partageable. Elle surveillait ainsi avec réprobation l’ampleur de notre appétit. De la salle, nous l’entendions grommeler. Nous grommelions aussi mais en silence, devant les parts congrues…

Ah oui, les robes des vieilles tantines à l’époque : arrivant juste aux genoux, serrées à la taille par une ceinture ou un lien à nouer, elles laissaient voir le haut des mi-bas ou des chaussettes que ces dames portaient pour plus de confort ou par économie, les bas « entiers » filant vite et coûtant cher à faire remailler ou à changer. Et cela me semblait horrible, ce bout de genou apparaissant à chaque pas, comprimé par l’ourlet élastique du mi-bas  ! Guy Breton

Plus grande, j’ai fait des séjours plus longs à Annemasse, dans l’appartement de plus en plus sombre et renfermé mais… j’avais découvert la cachette de livres zozés de tonton Charles et me régalais désormais plus de lectures que de bons petits plats quand j’étais là-bas. [Histoires d’amour de l’histoire de France, vous parlez de lectures érotiques !!! Mais à l’époque, je débutais, merci Guy Breton :o)] Je me demande encore s’il partageait ses lectures avec son épouse et Valentine. J’ai un gros doute.

Puis venait vite l’heure où Papa proposait de pousser jusqu’à G’nève pour voir le jet d’eau et faire le plein au retour. Pardi, le carburant était bien moins cher en Suisse à l’époque et il y avait une certaine tolérance pour les plaques « 74 » ! Pour Moilesullazentrer en Suisse, nous passions la douane à Moilesullaz, localement « Moilesul », dont le nom m’évoque encore des fou-rires sans fin avec frère aîné.

Par contre on ne rigolait pas du tout, ni en entrant en Suisse, ni en en sortant. Barrières, douaniers péremptoires, une fois sur deux, ouverture et vérification du coffre, cartes d’identité. Heureusement, Papa avait une carte d’enseignant barrée bleu-blanc-rouge qui lui permit de garder secret notre trafic de tablettes de chocolat, deux par personnes, à nous cinq, le pactole !

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Avec tout le second voire troisième degré que cela demande : « J’suis pas un imbécile : je suis douanier ! » – Fernand RAYNAUD, 1975. Heureux ! (Éd. de Table Ronde et Ed. de Provence).

« J’suis pas un imbécile ! Moi, j’aime pas les étrangers ! Non ! Parce qu’ils viennent manger le pain des Français ! Oui ! J’aime pas les étrangers ! C’est vrai, c’est comme ça, c’est physique ! Et pourtant, c’est curieux, parce que, comme profession, je suis douanier ! Alors, on devrait être aimable et gentil avec les étrangers qui arrivent ! Mais moi, j’aime pas les étrangers ! Ils viennent manger le pain des Français !

Et j’suis pas un imbécile ! Puisque je suis douanier !

Je peux écrire ce que je veux sur des papiers, j’aurai jamais tort ! J’ai le bouclier de la Loi ! Parce que je suis douanier ! Je peux porter plainte contre n’importe qui, je suis sûr de gagner en justice ! J’suis pas un imbécile ! Je suis Français ! Oui ! Et je suis fier d’être Français ! Mon nom, c’est Koulakerstersky du côté de ma mère et Piazanobenditti, du côté d’un copain à mon père !

Dans le village où j’habite, on a un étranger. On l’appelle pas par son nom ! On dit : « Tiens ! v’là l’étranger qui arrive ! » Sa femme : « Tiens ! v’là l’étrangère ! » Souvent, j’lui dis : « Fous le camp ! Pourquoi qu’tu viens manger le pain des Français ? » Un étranger !…

Une fois, au café, il m’a pris à part. J’ai pas voulu trinquer avec lui, un étranger, dites donc ! Je vais pas me mélanger avec n’importe qui ! Parce que moi, j’suis pas un imbécile : je suis douanier !

Il m’a dit : « Et pourtant, je suis un être humain, comme tous les autres êtres humains, et… » Évidemment ! Qu’est ce qu’il est bête, alors, celui ci !

« J’ai un corps, une âme, comme tout le monde… » Évidemment ! Comment se fait il qu’il puisse dire des bêtises pareilles ! Enfin, du haut de ma grandeur, je l’ai quand même écouté, cette espèce d’idiot !

« J’ai un corps, une âme… Est ce que vous connaissez une race où une mère aime davantage, ou moins bien, son enfant, qu’une autre race ? Nous sommes tous égaux. »

Et là, j’ai rien compris à ce qu’il a voulu dire… Et pourtant j’suis pas un imbécile, puisque je suis douanier ! « Fous le camp ! Tu viens manger le pain des Français ! »

Alors, un jour, il nous a dit : « J’en ai ras le bol ! Vous, vos Français, votre pain et pas votre pain… Je m’en vais ! » Alors, il est parti, avec sa femme et ses enfants. Il est monté dans un bateau, il est allé loin au delà des mers.

Et, depuis ce jour là, on ne mange plus de pain… Il était boulanger !« 

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